L’objectif et l’objet

L’eau est au centre de grosses tensions territoriales locales, nationales et internationales.

Dans ce contexte et afin de proposer des démarches de médiation qui pourraient apaiser les tensions dans la région et ailleurs et optimiser les usages d’une eau si précieuse, nous avons analysé le processus de résolution du conflit entre l’Inde et le Pakistan au sujet du bassin de l’Indus mené par la Banque mondiale (BM) durant les années 50, sous l’angle de la médiation internationale. L’objectif du mémoire était premièrement d’apprécier, la mesure dans laquelle, le processus qui a conduit à la signature de l’IWT le 16 septembre 1960 respecte notre définition de la médiation internationale. Ensuite, nous avons évalué si le processus de résolution de conflit satisfait les principes de la diplomatie de l’eau et si l’accord lui-même suit les principes de la gestion des biens communs (développés bien après la signature de l’IWT, il est vrai). Cette grille de lecture nous a permis d’énoncer des suggestions pour la mise en œuvre d’un processus de résolution de conflit au service d’une bonne gestion des biens communs.

Résumé du mémoire

Il ressort de notre analyse que la Banque mondiale (BM) a été une instance de faciliation aussi impartiale que possible, qui a favorisé l’autonomie des parties et respecté le principe de la confidentialité durant les premières années de son implication dans ce dossier, entre 1951 et 1953. Au cours de cette première étape, les parties ont, avec le soutien de la BM et en ne se concentrant que sur certains aspects techniques, trouvé un accord sur l’objet des négociations. Cette étape a permis à deux ennemis de poser un cadre aux discussions et de délimiter le périmètre des négociations. Durant ce processus de médiation, personne n’a pas évoqué les enjeux sécuritaires, politiques et sociaux importants pour les parties en présence et la BM et une majorité des parties prenantes n’ont pas été impliquées. Au final, ni l’Inde, ni le Pakistan ne considèrent les besoins et enjeux de l’autre partie. Le processus de facilitation est dans une impasse.

Pour les années qui ont suivies (1953-1960), la BM a, face aux positions figées des deux parties, pris un rôle d’instance de conciliation. Elle a ensuite défendu, auprès de chaque partie dans des entretiens séparés puis tripartites, sa propre solution, qui répondait à leur besoin d’absence de collaboration et à ses propres enjeux de développement économique et de maintien de la paix.

Finalement, cette conciliation à permis la signature, en 1960 d’un accord extrêmement rigide qui définit très clairement les droits d’usage de chaque partie et offre une solution extrêmement technique et couteuses qui ne s’ajuste absolument pas aux conditions locales environnementales, sociales, politiques et économiques. Et en même temps, cet accord est solide puisqu’il a été respecté pendant plus de 60 ans par deux pays ennemis.

Il ressort très clairement de l’analyse du respect des principes susceptibles de représenter les conditions nécessaires à une diplomatie de l’eau réussie, qu’aucun des six principes n’a été respecté dans le processus qui a mené à la signature de l’IWT. Ainsi, le processus n’a pas développé une compréhensions commune, complète et transparente du système. Il n’a pas permis la création de valeur par la collaboration et n’a pas lié les processus informels aux processus décisionnels. Les solutions développées ne sont absolument pas adaptatives et collaboratives et ne permettent pas l’amélioration collective du système. C’est finalement logique puisque le processus de recherche d’un accord, a dans sa globalité, nié la complexité des systèmes politiques, sociaux, économiques et environnementaux du bassin de l’Indus alors que les principes analysés ici sont basés sur trois postulats du « Water Diplomacy program » qui considèrent en particulier que les conflits autour de l’eau sont complexes par nature. D’autre part, le processus a exclu les autorités régionales et les communautés locales du processus de recherche de solution pour mettre en place un système rigide et technique développé et contrôlé par des ingénieurs à Washington. Ceci est contraire au deuxième postulat du « Water Diplomacy program » qui affirme que la résolution des conflits autour de l’eau requiert des solutions adaptées au contexte local et qui s’adaptent au fur et à mesure des apprentissages.

La troisième partie qui analyse le respect des huit principes pour gouverner les biens communs définis par Ostrom E, met en évidence le manque d’auto-détermination des États, des régions et des communautés concernées dans le processus qui a mené à la signature de l’IWT et dans sa mise en œuvre. Cet accord n’est absolument pas le fruit d’un consensus et il ne favorise pas du tout l’autonomie et la responsabilisation des États concernés et de chacun.e par une équivalence proportionnelle entre les coûts les bénéfices tirés de la ressource, une surveillance interne locale, des sanctions progressives et des structures imbriquées.

En conclusion, sur la base de cet exemple, nous sommes convaincus qu’un processus de médiation environnementale qui respecte les principes pour une diplomatie de l’eau, pourrait être extrêmement bénéfique pour résoudre un conflit de bien commun si les médiateurs n’ont pas comme objectif prioritaire la finalisation d’un accord. En effet, le processus est plus important que l’accord car la compréhension commune du système par une majorité des parties prenantes est la clé qui peut leur permettre de définir de façon autonome, un ensemble équilibré et légitime de règles de partage du bien commun qui respectent les limites du système. Ce processus devrait également les soutenir dans l’ajustement continu de ces règle à de nouvelles réalités.

Les enseignements généraux du cas

Les principaux enseignement de cette analyse pour notre activité de médiatrice environnementale sont :

  1.  Une solution optimale ne peut être trouvée que par les parties et pour les parties. Cette étude de cas renforce ma conviction que pour les questions de biens communs, l’instance de médiation se doit de rester neutre. Elle accompagne les parties dans la recherche d’une solution commune afin de développer la confiance, l’auto-détermination et la responsabilisation.
  2. Même dans le cadre d’un climat de tension extrême, il n’y a pas d’urgence à signer un accord car il est possible de signer des accords intermédiaires pour sauvegarder la paix.
  3. Une mauvaise solution peut faire plus de dégâts que l’absence de solution et arrête de facto la recherche d’une bonne solution.
  4. Le processus est plus important que la conclusion d’un accord. Les échanges et les discussions favorisent la mise en lumière de tous les enjeux et permettent progressivement de dénouer les liens du conflit et de créer un climat de confiance et de co-responsabilité.
  5. Dans le cas d’une médiation sur un bien commun, la complexité doit être considérée, exposée et discutée en toute transparence et avec l’ensemble des parties prenantes.
  6. Un arbitrage extérieur freine la capacité des parties à ajuster un accord aux nouvelles réalités. Étant donné la complexité des systèmes économiques, sociaux et environnementaux, il est probable que la solution trouvée doit, à un moment ou à un autre, être ajustée. Ces ajustements seront d’autant plus difficile à mettre en œuvre que les parties n’ont développé ni la confiance, ni la co-responsabilité lors de la rédaction du premier accord.